jeudi 31 mai 2012

Dernier jour de mai.

Je suis heureuse.
Avec les flaques de tristesse, les furies qui me traversent, la fatigue qui m'imbibe comme une éponge, la douleur dans ma tête roussie. Je suis heureuse avec tout ça. Mon bonheur ressemble à un biscuit aux pépites de colère, douleurs, peines, ennui... Ou un gâteau aux fruits (mais qui goûterait bon !) Un machin sucré et doux dans la bouche avec des morceaux dedans.
Ça m'a pris du temps avant de trouver cette porte secrète. Beaucoup trop de chirurgies et ma vingtaine. Je n'ai pas toujours habité au pied d'un arc-en-ciel plein de lutins et de bols géants de céréales Lucky Charms !
J'aime la vie. Je trouve ça beau avec toutes ses horreurs, ses douleurs, sa monstruosité, sa cruauté. J'aime la brutalité et la force de la vie. C'est vraiment une salope quand elle veut, mais elle m'enchante, je suis ensorcelée. Elle me possède. Aaahhh !
J'ai peur que ça cesse, des fois. Une main griffue m'agrippe soudain le coeur. Je me dis "et si ça recommence ? Et si cette fois-là je gagne pas, si ça tire trop fort par en bas ?" Ça me rouvre le ventre à l'air libre et tous mes liquides font FLOTCH par terre. Peut-être. Mais là je suis là. Je suis en vie.
Oui, oui, mais combien de vies il me reste merde, donnez-moi au moins un estimé... Même le Héron ferme sa gueule quand je lui demande. Saleté d'oiseau con !
Inspire-expire, inspire-expire.
L'odeur forte des lilas dans la nuit.
Regarde le ciel d'un bleu profond, presque noir. Les étoiles les étoiles les étoiles m'aspirent.
Inspire-expire-aspire.
Les liquides de mon corps ont soudain regagné mon corps. Je suis hermétique. Je ne coule plus vers l'extérieur dans ma chienne de retomber malade.
J'ai besoin de me battre, de gagner contre moi-même, d'avoir un petit goût de sang dans la bouche de temps en temps. J'ai besoin de me réveiller avec une peur qui me slug au ventre ; t'es en vie Amé. T'es en vie.
Ouf. C'est tellement meilleur quand on a eu peur de la perdre.
Alors mon jeu à moi c'est de me donner une solide chienne. Puis d'être submergée d'une mélasse ésotérique de lucidité, de reconnaissance et d'amour universel.
Chacun son truc.
Au moins, j'ai la pêche !

lundi 28 mai 2012

On se calme le pompom !

Mardi passé j'ai glissé dans un marécage puant, la tête dedans et les jambes en haut, mon cerveau sucé, succioné, liché de grosse langues de bouette noire. Toxique. Je sauçais dans la swamp.

J'avais le coeur sale.
La douleur physique, je m'en fous. Je peux dialoguer avec elle ; on est copine à la longue. C'est une créature qui me chevauche, je suis son destrier, sa pouliche de feu. Des grandes chevauchées qui me déchirent le crâne aux douces caresses sur ma crinière, je prends tout. Je suis capable d'aller très creux à l'intérieur de moi, dans un endroit qui ne ressent plus le mal et je galope et je me cambre et je saute et je m'envole, comme Pégase. (Mais avec une corne de licorne !) Ne vous inquiétez jamais de la douleur physique qui grignotte mon corps par en-dedans ; je vous la mets en scène comme un personnage de soutien dans mon histoire déconstruite-reconstituée, dans mon histoire vraie coupée-raboutée. Le mal qui mange mon corps est une Diva qui veut toute la place dans mon pôôôôvre petit drame, mais ne vous laissez pas impressionner. Une fois son monologue gueulé, une fois démaquillée, il n'y a rien... un fantôme, une evanescence de douleur, un souffle amer.
Inquiétez-vous lorsque j'ai la rage au coeur. Quand je repousse l'amour doux. Quand je crie les yeux fermés. Quand je suis emmurée dans ma colère, quand je crache ma fatigue enragée.
C'est épuisant tant de violence et de rage en soi. C'est égoïste aussi.
Mardi matin, j'ai glissé dans un trou noir.
Mardi soir, j'ai eu envie de me relever.

Mercredi, j'ai attaqué.
Plan de match : nettoyer la sauce noire qui m'engluait le crâne et le coeur. Retrouver mon magnifique arc-en-ciel d'amour-joy-joy-joy-intérieur ! (Hum. Trop d'épisodes des Calinours et de Ma Petite Pouliche dans mon passé peut-être ?!!..)
J'ai demandé aux techniciennes de me mettre "du Bob" pendant mon traitement. Aaah parce que oui, lors des traitements, il y a possibilité de noyer le vacarme de cette foutue machine avec de la musique. Chaque patient(e) amène ses CD's et se fait irradier sur sa trame sonore personnelle !
I wanna love you, and treat you right !...
I wanna love yoouu, every day and every night !
Traitement reggae. Du soleil dans mon cerveau. Une irradiation dansante !
Hummm !

Mercredi en après-midi je suis allée courir.
Eh oui, je cours, je danse, je bouge. Ah mais non, je ne passe pas mes journées à rester immobile dans un lit de douleurs. Je n'ai pas cessé de vivre. Pas complètement en tout cas.
Mercredi fin d'aprèm, je vais donc jogger sur le bord du fleuve à Verdun. Pink Floyd dans mes oreilles.
Juste un peu plus bas que les rapides, j'aperçois le Héron. MON Héron. Le Héron avec un H majuscule, le Seul, celui qui devient multiple, qui se divise ; il est tous les hérons et à chaque fois c'est mon Héron ! (J'ai une relation particulière avec mon Héron, dois-je le mentionner ?!!)
J'arrête. Je lui dis : "salut."
Il me regarde. Je le regarde. On fait un eye contact très intense. Il me dit : "salut. C'était pas ta meilleure journée hier hein ?! Le Dalaï-Lama aurait pas été fier de toi !"
- Ouain. J'étais fatiguée et mon amour universel était à sec. J'ai été poche.
- C'est correct la p'tite. Essaie de te grounder, de respirer, regarde les arbres qui poussent forts... pis ferme ta gueule de temps en temps quand t'as le feu au cul !
- Heille ! J'ai le droit de gueuler un peu des fois ! J'explose, moi, sinon !
- Écoute ma Noire, canalise ton énergie pis dessine, danse, va courir, mais laisse le monde vivre sa vie !
- O.k.
- Hey : Don't worry about a thing !
'Cause every little thing is gonna be all right !
Singin' don't worry about a thing, 'cause every little thing is gonna be all right !
Rise up this morning
Smiled with the rising sun
Three little birds, pitch by my doorstep
Singing sweet songs, of melodies pure and true
Singing : this is a message to you-ouh-ouh !!!
Je recommence à courir.
(Mon Héron est un mélange de grand-papa Bob, de Bob Marley et du Dr. B., je sais. (Ça fait beaucoup de B !) J'aimerais qu'on respecte mon monde imaginaire. Sans commentaire.)

Le reste de la semaine a été doux.
Mon frère a fait le défi "Têtes Rasées" pour Leucan (Bravo mon frère !), j'ai fait un don et je me suis calmé l'esti de pompom.
Il y a des gens mille fois pires que moi. Seuls. Malades sans espoir de guérison. Handicapés. Des enfants qui souffrent chaque jour de leur vie et qui sourient. (Bon, c'est vrai que la morphine fait sourire... Oh ! Mon humour est malsain !)
La vie est bonne avec moi.
Je ferme ma gueule. Je cours entre le fleuve et le ciel et je chante "is this love- is this love- is this love - is this love that I'm feelin' ?!..."




mardi 22 mai 2012

Criss

J'en ai plein le cul. Aujourd'hui mon coeur est un gros jambon froid de comptoir à charcuteries. J'ai un goût de métal et de rage dans le fond de la gorge, tous deux attribuables à la radiothérapie, et la Chauve-Souris crie crie crie et personne ne l'entend parce que fuck, une chauve-souris ça fait des sons invisibles, inodores, incolores, impossibles. Ça fait des vibrations, ça convulsionne des ondes, ça envoie, ça émet, ça renvoie, ça régurgite des ultra-sons, ça vole en rond.
Des chauves-souris, ça écoeure tout le monde.

Chaque pulsation cardiaque tape dans mon cerveau, BAM, BAM, BAM, je vais imploser un jour, je vais m'aspirer comme un trou noir, je suis mon abysse, ma mâchoire de fille-crocodile va me broyer en millions de petits morceaux, je vais m'avaler. Il ne restera de moi qu'un son de coeur qui bat, un rythme lent et orageux, très bas, un presqu'ultra-son de tambour battant. Un truc qu'on perçoit avec le ventre. Mais trop tard, mon mal de tête m'aura avalé, mes yeux explosés, la maladie aura mangé mon coeur et ses espoirs et pis fuck, la vie va continuer, HEIN ?! BANDE DE SALES VIVANTS ? AVEC VOTRE SANG ROUGE ET CLAIR ET BEAU AVEC VOTRE IMMORTALITÉ DE GENS EN SANTÉ QUI N'A JAMAIS FRENCHÉ AVEC LA MORT. VOS PUTAINS DE CORPS QUI FONCTIONNENT ET VOUS NE LE REMERCIEZ MÊME PAS VOUS ÊTES TOUS LÀ À DÉTESTER VOTRE CORPS À LUI FAIRE MAL À LE PRIVER À VIVRE À CÔTÉ. VOUS DORMEZ BIEN ? OH LE BON CONFORT DE LA VIE CONTRÔLÉE, ET LA VIE ELLE EST BONNE ? VOUS AVEZ LA VIE DEVANT VOUS VOUS DÉSIREZ VOUS RÊVEZ VOUS AVEZ UN ESTI DE FUTUR VOUS AVEZ L'INSOUCIANCE VOUS NE SAVEZ PAS VOUS NE SAVEZ PAS.
J'en ai plein mon esti de cul de crever à chaque jour pour rester en vie, o.k. ?!!
Moi aussi je veux un corps normal. Et un futur.
Je suis fatiguée merde.

mercredi 16 mai 2012

merci.

On dirait que le ciel va éclater et se fragmenter. Il est gris, lourd et gonflé. (Comme mon cerveau !) Ça sent l'orage. Je ne sais pas si les chauve-souris aiment la pluie...
L'air est pesant dehors et j'entends le tonnerre rouler au loin. J'aime les zones de tension, les points de rupture, la mince ligne. Ça va péter bientôt...

Hier, lors de mon anniversaire qui débute ma "christique" 33e année, je croyais que des halos de lumière m'enroberaient comme un M&M, que je léviterais (un peu, 2-3 centimètres au moins...), que mes mains propulseraient des boules de feu bleues et que ma voix serait divine et caverneuse. Mais non. Je n'ai même pas croisé un putain de Buisson Ardent, une retaille d'hostie, un criss de rameau tressé.
Aaaah oui mais.
Mais j'ai eu 33 ans et BEAUCOUP D'AMOUR !

C'était une journée difficile, une drille me perçait l'arrière des yeux et un truc rendait le centre de mon cerveau très très sensible. J'ai même eu mon premier vomi de fête ! Wow. (Pas de surprise. Je le savais ; c'était compris dans mon forfait radioactif ! Je pense quand même que ce vomi manquait de tact et de politesse et qu'il aurait pu attendre au lendemain de mon anniversaire pour sortir...)
Je m'en foutais. J'avais 33 ans et il y a eu tous ces gens que j'aime qui m'ont serrée dans leurs bras, tous ces messages et ces "bonne fête" remplis d'amour, il y avait toutes les personnes que je connais un peu, beaucoup, mucho-mucho, qui sont là depuis le début et qui me portent et que j'emporte chaque jour dans mon coeur au coeur des traitements. Le savez-vous Bon Sang ?! Le savez-vous que l'amour guérit ???!!!
Eh bien moi je vous le dis.
Et je vous dis "merci". Des millions de fois en ligne. Mon coeur est gonflé comme un ciel orageux et contient une pluie d'amour liquide.
Depuis le début, dès le suspens hollywoodien de la chirurgie, ma convalescence et ma regénération miraculeuse de salamandre. Vous étiez là. Vos mots m'ont nourrie. Vos bonnes pensées sont entrées en moi. Merci de me lire et de vous ouvrir à ce que je vis. Merci de répondre.
Juste "merci."
Je passe à travers tout ça sans toucher sol parce que je marche sur vos mots d'amour et vos ondes positives. Wahou !

(Vous n'êtes évidemment pas obligés de lire l'enfilade qui suit, mais si vous voulez savoir si vous êtes dans ma liste, il faudra vous la claquer !)

MERCI ;
mon bel Amour, ma Maman et son toupet magique, mon Papou-BBQ, Sammy-petit-bro & Stef-avec-un-F, Myl-ma-Sis' et son copain, ma grand-maman Tane, les\mes soeurs Faucon, François Lebeau (you kill !) tu m'inspires, ma marraine matante Cé et ses gars (poilu ou non !), la famille Lachance-Laplante, ma (presque)-grand-mère Hug' et ses Lavergne INC., mon parrain, matante Colette et le couvent, NALA qui monte les montagnes (vas-y ma belle : écris ton livre ! Je crois en toi !), tout le réseau de Nala !, ma belle Pascale aux yeux magnifiques, Émilie mon petit caramel, Antoinette Karuna, MCFLY ma belle sirène, So mon coeur fondant (moi je te marierais n'importe quand si j'était un gars !), Éric t'ES OOÙÙÙ ??!, Momo ma citoyenne adoptée préférée, Josée-crotte-de-nez que j'ADORE, Carole S. ma maman-nuage, la gang des Piles, Mario, Michel et Louise, les amis de mon frère qui m'ont écrit sans me connaître, ceux que je connais qui m'ont écrit !, les Roussy que j'aime, Janine G., Diane, les copines du centre sportif de l'UQAM (Ge, Marie-No, Amé G., Karine...), Issam, Mel D., Nath F., Athan', Daniel-San, Carrrl, la gang du YMCA (staff et participantes, Céline, Chantal, Lise, Jasmine... que je molestais allègrement !), la FUNKY-gang de Radio-Can, Hélène, Sylvie, Denise, Catherine, Geneviève...(Sophie et Jean inclus !), mes mamas MEXICANAS, Marie-HELLène, Luc, Éric-Rac, Naz, Claudette, mes beaux-parents, Rokosh, les amies masso, MC Lebeau, Annick, Alex, Nico (et ta mère !), les copains-copines de la Maîtrise (Julie, Simone, Nat, Chloé, Audrey, Catherine, Lorenzo, Maud, Daniel,...), Creamy-Carole, Claude M., Mo R.-Z., Sheena, les amis de Québec : Suzanne & Rémi, Sylvie & Ben, Val G. ma belle (je pense à toi très fort), Mireille Poulin, Geneviève Has, Carly & Jody, Mimi Chin, Maryam & Amine, Caro...
Wow. J'oublie beaucoup de personnes, je n'ai pas nommé chaque personne... J'en suis désolée. Mais je vous suis infiniment reconnaissante et je pense à vous individuellement et massivement à chaque soir.

Merci à vous tous qui m'avez connu du côté épidermique de mon corps. Le côté avec des yeux, des cheveux et (en général) des vêtements. À travers ce que j'écris, vous avez un accès sur le versant intérieur. Celui qui a souvent mal mais qui veut continuer à vivre fort et haut. Pour vous connaître, vous aimer, vivre avec vous. Je trouve les interelations horriblement complexes mais j'aime profondément les humains.

Aujourd'hui, pour la première journée de ma 33e année de (sur)vie, je me fais un cadeau, je vous dis "merci." (En ultra-sons de Chauve-Souris !)

(C'était mon moment post-anniversaire-radioactif-émotif. C'est important de dire merci. Ma grand-mère va être fière de moi !)

lundi 14 mai 2012

Dans "violence" il y a "vie"...

Je réfléchis sur la violence faite à mon corps pour le garder en vie, pour le sauver, le prolonger. Mon corps-bombe programmée, mon corps qui s'auto-détruit. J'ai une mine dans le cerveau. (Une mine radioactive pour l'instant, éloignez les femmes enceintes et les enfants de ma tête !)

On me troue on m'ouvre on m'ausculte on me coupe on me coud on me referme on me suture on me broche on m'attache on m'intube on me médicamente on me prend mon sang on m'injecte on me pique on m'irradie on me tâte on me palpe on me touche on me couche on me lève on me met une sonde on m'arrache la sonde on enlève on retire on vide on m'enferme sous un masque on m'écrase on me regarde être malade on me fait mal. Pour guérir. Je suis en sursis. Encore un peu. Encore. Je veux vivre. J'ai mal souvent, beaucoup, légèrement, en surface, en profondeur, jusqu'au coeur. Je souris, je ris, je blague, je marche, je dors, je fais semblant que je suis "normale", la douleur est ma normalité, ma norme, mon animal en cage ; je suis ma propre cage. Je m'en fous, je prends la douleur aussi, je prends tout, j'en veux plus, à force d'avoir mal on n'a plus mal.
Il y a un monstre dans ma tête, à chaque jour on le nourrit à force d'irradiations, il me mange les globes occulaires par en-dedans, il me gratte le cerveau, me griffe, me lacère la zone supra-sellaire. Il me dévore de l'intérieur. Il grossit. On dirait qu'on a fait bouillir ma tête. Mon cuir chevelu est sensible. Mon monstre rugit. Je prends d'autres Tylenol. J'apprivoise la bête, je dois apprendre à l'aimer, lui faire une place, le calmer.

Les chirurgies pour me garder en vie. La radiothérapie qui me lave doucement, me brûle par en-dedans. Le masque qui m'étouffe. Les millions d'examens, d'intrusions dans mon corps, ma micro-biologie est violée, j'en ai marre des fois de ces entrées et sorties dans mon être, de cet esclavage médical. J'aimerais que mon corps m'appartienne.

Les traitements que subit mon corps sont violents. Pour mon bien.
La violence de la médecine. À chaque jour. Accueillir cette violence.

Je suis allée visiter une serre GÉANTE et magnifique avec ma maman après mon traitement de ce matin. Le vert, les fleurs, les couleurs, l'odeur, les arbres qui s'ouvrent, les bourgeons... C'est comme Walt Disney pour moi ! Quel bonheur. La vie qui éclate. Je m'en suis nourrie (et j'ai acheté de la joubarbe parce que ça aime les sols secs et les conditions difficiles...) Le vert me regénère.
Je suis un petit taureau du printemps.
Demain ce sera mon 33e anniversaire.
L'âge du Christ. ("Le christ de bel âge", comme dirait ma grand-mère !!!)
Cette année, je prévois rien de moins qu'une RÉSURRECTION !!!

lundi 7 mai 2012

jour 4

Quatrième traitement.
Plus que 26.

Jeudi dernier, lors du deuxième traitement, ça s'est bien passé.
Vendredi, ça s'est TRÈS bien passé.
Et ce matin c'était comme une petite siesta (...mais dans un scan !)
Humm...  Je m'allonge, je détache mes cheveux, j'appuie ma tête sur l'appui-tête de plastique, les filles me mettent une couverture, des plaques en acrylique glissées sous chaque côté de mon corps. Je place mes mains sur mon ventre, sur la couverture (les techniciennes qui me surveillent par caméra pendant mon traitement doivent voir mes mains en tout temps ; on a convenu que si je m'excite les mains, c'est le signe que ça merde et elles interviennent. C'est la procédure pour tout le monde ; on doit voir les mains.) Puis, délicatement, elles me mettent le masque. CLAP ! CLAP ! CLAP ! On m'enferme sous mon Double plastifié, et puis hop ! c'est parti pour un autre petit tour dans le grille-pain à humain.
Je respire lentement, avec mon ventre.
Je glisse dans le scan. Je fonds doucement dans la table, comme une grosse motte de beurre. Tout mon corps est relâché, je suis bien. Étonnement, JE SUIS BIEN. Comme quoi l'être humain s'adapte à tout.
Je ressort. J'attends le résultat du scan pendant un cinq minutes de paix et de détente infinie. Je retourne dans mon four à fille... Je suis là, écrapoutie sous mon masque de Jason-le-tueur, à me faire cuire le cerveau et je vis un beau moment de douceur et de détente. J'ai apporté mon CD de Bon Iver (For Emma...) et j'ouvre toutes les cellules de mon corps comme des millions de yeux, je les gonfle d'amour, je m'imagine flottant dans une aurore boréale verte et rose et mauve, je dis à mon cerveau que je l'aime, "Saaaaw death \ Saw death on on a sunny snow \ For every liiiiife \ Forgoe the parable \ Seek the liiiiight \ My knees are cold (...)"... et le tour de manège est terminé.
Une technicienne enlève le masque, je saute en bas de la table, j'attrape mon manteau, je dis "salut les filles ! À demain !" et je vais rejoindre ma Maman qui m'attend dans le couloir. Elle me prend la main et on remonte vers la lumière, vers la sortie.
Un autre de fait.
Je tourne ma face à motif de "ruche  (ou : arachide-pas-écaillée) " vers le ciel et je souris.


J'ai eu besoin de trois jours pour trouver mon espace de liberté en-dessous du masque et de sa violence. Yes ! Je suis là et j'avance, un jour à la fois. Fuck le reste.

mercredi 2 mai 2012

Le premier, 1 de 30.

Premier traitement ce matin.
Plan de match : tous les jours, on procèdera d'abord à un scan. Léger temps de flottement pour faire l'analyse du résultat, suivi du traitement comme tel de radiothérapie. Environ 10-15 minutes.

Le masque.
C'est le masque.
C'est difficile.
Psychologiquement.
La pression, la tête écrasée. Respirer. Respirer. Relaxe Amé.
J'ai soudain eu hyperconscience de moi, le visage cloîtré là-dessous, enfermée dans mon masque, dans mon propre visage, dans mon putain de corps.
Colère colère, tristesse, merde, merde, merde, je ne veux pas.
JE NE VEUX PAS.
J'ai dit "non", les techniciennes m'ont retiré le masque. J'ai pleuré un peu. Absorber l'air à grandes goulées.
Ok Amé, arrête de pleurer. Chauve-Souris, BEHAVE. Fais face.
"Ok, j'y retourne, ça va aller." Comme si le masque en soi était un lieu...
(Bon, évidemment, tout ce pleurnichage a bouché mon nez et j'ai eu encore plus de difficulté à respirer lors de ce traitement-ci. Bien bon pour les filles braillardes !)
Je me réinstalle.
On reclipe le masque.
Respirer.
Je glisse dans le scan.
Respire Amé, respire.
Relâcher les épaules, la nuque, le visage. Les fesses. Fondre dans la table. Trouver une zone intermédiaire. Descendre dans mon corps et me rouler en boule dans ma propre enveloppe.
Fin du scan. On me ressort. J'attends.
Je cherche la main de la technicienne qui est revenue à côté de moi pendant l'analyse du résultat de scan. Contact humain. Moi sous ma cage et juste une main inconnue me libère.
Je retourne dans la machine pour le traitement.
Respirer.
Ne pas penser à toutes les personnes âgées qui traînent dans les couloirs avec moi. Ne pas penser qu'à 32 ans on fait des bébés, pas de la radio. Pense à grand-papa, pense à Kamou, le ciel, l'odeur du fleuve. Pense aux gens que tu aimes. J'essaie d'envoyer de l'amour dans mon cerveau, mais c'est plus difficile qu'on croit faire un envoi massif d'amour ET respirer. ET se faire bombarder la tête.
Je ressors.
C'est terminé.
THAT'S IT.
Un de moins !
Demain matin 10:20h. Deuxième traitement.

J'ai besoin de temps. Quelques traitements. Je vais trouver ma place là-dedans. Il y a toujours un espace entre mon corps et mon esprit, là où ils se rencontrent. Il y a une petite craque qui ouvre sur un lieu lumineux. Je vais trouver la mince ligne et y aller à chaque jour, laissez-moi juste un peu de temps.