mardi 26 juin 2012

13 jours après le 13.


C'est terminé. Depuis treize jours.
Les cinq premiers jours suivants la fin des traitements, je me sentais vide le matin. J'ai dû développer un syndrôme de Stockholm envers ma radiothérapie ! Ma maman était repartie. Ma routine, même horrible, me manquait. Je n'étais plus en mode survie. Je n'avais plus de contraintes. Ils en avaient fini avec moi, on me retournait à la maison, ciao poupée, ferme ta gueule et guérit. Toutes ces mains qui me touchaient, me manipulaient, me palpaient ne veulent plus de moi. Elles tripotteront d'autres corps, moi je suis sauvée. Je ne me rappelle plus comment faire pour vivre sans avoir mal quelque part. Je ne sais pas quoi faire de toute cette vie qui m'attend. Je suis si habituée à vivre un jour à la fois, et voilà qu'on me redonne un espoir de futur et un corps, amoché et vidé, mais une carcasse d'humanité quand même. C'est tellement moins intense, la vie, quand on n'est plus en danger. Quand le monstre nous recrache. J'en oublie presque que c'est moi le monstre, l'être recousu et dysfonctionnel. Des fois, je m'ennuie de cette imminence. De ce précipice sur le bord duquel je dansais. Je danse moins bien sur le sol ferme.
Réapprendre mon nouveau corps. Recommencer. Encore.
Merci à toutes les personnes qui m'encouragent, qui me disent 'bravo ! Tu as traversé tout ça ! C'est terminé ! OUf !', qui m'accompagnent dans cette étrange contrée. Ce que je vais vous dire n'est pas triste, c'est la réalité, et j'aimerais bien qu'on soit tous au diapason sur ce point. C'est important de comprendre ceci : ce n'est pas terminé. Il n'y a jamais de fin. Il y a toujours un lasso qui tournoie autour de moi, prêt à m'enlacer comme une brebis, pour me jeter à terre. Encore. Vous aussi. Seulement, vous ne savez pas dans votre CHAIR. Profondément. Ça n'empêche pas d'être heureux. Au contraire. Ça permet de vivre encore plus fort. Avec lucidité.

Mes cheveux tombent et j'ai de petites zones de toundra autour de mes oreilles. Cheveux rares et minuscules. Ça semble vouloir grimper en mettant mon cuir chevelu à nu. Comme un feu de forêt qui gagne du terrain. J'espère un Cesna sur cette zone de cheveux qui meurent. Une potion "opération beurre de pinottes". Que ça cesse.
Je suis à Kamou, lieu de regénération.
Je jardine, je dessine (juste des têtes sans corps, des têtes flottantes aux yeux fermés), j'entretiens mon feu avec une belle braise (il fait quinze degrés !!! J'ai peur que les chats recommencent à se faire un poil d'hiver !) et je descends au fleuve à tous les jours. Je fais une collection de ciels, de roches d'intérieur et de moustaches de chats. Je prends beaucoup trop de bains par jour et je fais du vélo. Programme d'une fille-papillon qui fait repousser ses ailes.
Je dors. Je dors. Je dors. Trop ?
J'ai hâte de retrouver mon corps d'avant, tout en sachant pertinement qu'il est perdu\foutu à jamais.
"FOU-POU-DA". Foutu-Pourri-d'avance.
Je suis étrangement bien ici. Toute seule avec mes chats-ligators, les ciels mouvants et le fleuve.
Je suis heureuse d'être en vie. Même si c'est du temps emprunté. Je veux bien vivre en sursis. Mais je ne veux pas vivre à moitié. Même la douceur et la sérénité, ça peut être entier et intense.

Ce matin, tout était enveloppé dans un nuage en cotton ouaté. Une brume dense et épaisse, lourde, qui frôlait la pelouse et léchait le fleuve. On ne voyait qu'à 15 mètres environ. C'était bizarre ; même la sensation de mon propre corps semblait différente. Je me sentais diffuse et sans contour. J'avais le corps flou et immatériel... Je regardais dehors en faisant niaiser les chats qui miaulaient comme si ça faisait huit jours qu'ils n'avaient pas eu de croquettes (ils refont le même sketch chaque jour. Je n'y crois plus... Je prends donc le temps d'absorber le paysage chaque matin avant de commencer une autre journée dans le Monde des chats !) Soudain, vif comme l'éclair, j'ai vu le petit renard blondinet de Kamouraska. Il est nerveux et maigrichon et sa queue manque de vavoum. Il a traversé la brume comme une apparition et est descendu vers le fleuve. Sale temps pour les renards. On a des problèmes de cheveux, le renargou et moi. On a la touffe dégarnie !
Je suis descendue, j'ai nourri le feu et les félins au seuil de l'inanition et puis je suis partie à la pluie battante m'acheter un beau rosier rustique, mon premier rosier à vie, qui pique et qui fait saigner le bout des doigts.
Ça m'a fait beaucoup de bien.
Je dirais même que ça m'a rendue heureuse.

mardi 12 juin 2012

Demain.

Demain matin, mercredi 13 juin, 8:10h., j'aurai mon trentième et dernier traitement de radiothérapie.
Ma dernière journée de chauve-souris à visage de crocodile.
Ma dernière glissade dans le fourneau à cerveau.

En fin de semaine, à Kamou, alors que je jardinais à pleines mains comme s'il n'y avait plus de lendemains, le Héron est passé au-dessus de moi trois fois.
Au couchant du soleil, je suis descendue le voir sur le bord du fleuve.
Les roches étaient encore tièdes de soleil.
"Merci Héron d'être là."
"C'est pas fini après mercredi la P'tite."
"Oui. Je sais. C'est jamais terminé."
"Tu connais le dicton tibétain hein ?!"
"Ouai ; dis-moi ton épreuve, je te dirai ton enseignement."
"Fais confiance o.k. ?!"
"O.k."


mercredi 6 juin 2012

up... and down...

Conjonctivites.
J'incarne l'expression "les yeux injectés de sang." C'est franchement plus joli en littérature qu'en vrai.
J'ai un cerne qui descend plus bas chaque jour, les paupières irritées et j'ai l'air de pleurer. Mais j'ai les yeux infectés. Ne pas mélanger la tristesse et l'infection.
Je vais voir une spécialiste en ophtalmo demain pour traiter mes yeux rouges de lapin.
Ma médecin en Radio-Onco a dit que c'était normal ce suintement et ce gratte-yeux, suite aux traitements de radio qui chatouillent mon nerf optique. Eh bien mon nerf optique m'emmerde. Il n'aime pas être taquiné par irradiation. Mes yeux manquent d'humour parfois !
Il y a un banc de sable sous mes paupières, j'essaie de diminuer mes clignements de yeux, c'est assez utopique je sais, mais quand vous réfléchissez avant d'effectuer tout mouvement avec votre paupière supérieure et que vos yeux coulent doucement jour et nuit depuis 13 jours, en ce qui concerne l'appareil occulaire (comme on dit) : ça chie dans le ventilo !
Mouaip.
À suivre.

Ils me font mal partout ailleurs à force de vouloir me sauver. Il brûlent un site vide. Ils calcinent une chambre noire. Mon oeil droit et son copain, oeil gauche, se vengent.
(J'ai d'ailleurs une théorie personnelle sur ce qui fait rouler l'humanité depuis la nuit des temps ; la vengeance. Pensez-y deux minutes. On s'en reparlera un jour.)
Voilà mes yeux qui s'y mettent, terrorisme ophtalmique.
Eux aussi en ont marre. Moi je ne suis que le territoire, la terre brûlée.
"Faire du mal à trop vouloir faire le bien." C'est ce qu'on dit, non ?

C'est juste que des fois, je suis fatiguée À L'INTÉRIEUR de moi, profondément. Plus creux encore. Là où le corps se fond dans l'esprit. Point de jonction épuisé.
Comme aujourd'hui.
Mes yeux rougis pleurent leur infection et piiiiiiiiiquent. Ne touche pas Amé, ne gratte pas !Aaaarrrgghhh !!! Et je me regarde dans le miroir. Je suis moche. Vide. Vide. Vide. Je me demande pourquoi je fais ça.
Je ne serai pas plus forte pas plus sage pas plus consciente pas plus libre.
Au contraire. Je goûte chaque perte, chaque deuil, et puis je l'avale. Ça descend dans mon ventre et un jour je vais pondre un oeuf luisant et noir. Je couve. J'avale. Je mange "sucré" pour aider la médecine à couler !
Mais pourquoi je fais tout ça chaque jour ?

J'enlève un oeil en tirant délicatement, puis l'autre. J'enroule leurs nerfs optiques.
Je dézippe ma peau jusqu'en bas, je sors de mon enveloppe. Je retire ma tête et la dépose à côté. Je place mon cerveau dans un bol d'eau sucrée. J'enlève ensuite méthodiquement chaque muscle, puis chaque os, en les empilant de façon ordonnée au sol, en petits tas. Je tire sur mon système circulatoire et je laisse le sang se vider dans l'évier. Je roule mon système nerveux bien serré et je l'attache. Mes organes tombent par terre dans un grand SPROUTCH ! synchronisé et visqueux. Quelque part, ma bouche sourit.
Je suis un esprit vif, léger.
Un grand vent souffle soudain et mon esprit s'éparpille dans mille direction. Je suis éclatée et LIBRE !
J'aimerais sortir de mon corps pendant une journée. Une heure... Quinze minutes ?!! Que ça cesse. Donnez-moi un petit temps d'arrêt.

lundi 4 juin 2012

hibernation

Jeudi dernier, c'est arrivé.
Que s'est-il passé dans la nuit de mercredi à jeudi ? Ai-je franchis une ligne pointillée invisible ? J'ai traversé de l'autre côté, dans une autre saison, la cinquième. Et elle est lourde, froide et lente, quoi qu'en chante Harmonium...
PAC ! Jeudi il y a une graaaande fatigue qui m'enveloppait à mon réveil. Je me suis couchée à 33 ans et j'avais soudain 88 ans (au moins !) lorsque je me suis réveillée.
Loooouuurrrrde fatigue. Qui tire vers le bas. Tes paupières sont looouuurrrrdes (et infectées de conjonctivites dûes aux traitements, quel supplément charmant !) Tu t'endors. Tu dors.
J'ai alors débuté un chapelet de longues siestes. Dont je me réveille épuisée.
Je veux dormir jusqu'à la fin, comme la Belle au Bois Dormant.
Un doux matelas perdu dans une forêt tranquille, sous une coque de verre... (Ou plutôt de bois, parce que bon sous le verre je cuirais et j'en ai assez d'être en mode cuisson !)
Je pourrais aller à mes traitements totalement inconsciente ; en tant que bucolique somnambuliste forestière.
Je m'éveillerais doucement, à la toute fin, reposée, les joues roses et les cheveux un peu aplatis d'un côté et je m'étirerais. Hummm. Ça sent bon l'hummus et la petite perdrix ! Puis, je marcherais vers la ville, son vacarme, ses millions de lumières qui ne s'éteignent jamais même en plein soleil, ses gens indifférents, blessés, morts-vivants, ses odeurs superposées, son smog qui recouvre tout comme une couverture anxiogène et son rythme de vie tachycardiaque.
Finalement, après une légère réflexion, je contourne la ville et je me dirige vers Kamou, les oies blanches et l'odeur salée de mon beau fleuve. Ses marées qui montent et descendent comme une respiration lente. Juste être là et regarder l'eau, le ciel, les champs, les montagnes. Cueillir des roches.
Il n'en reste plus que sept.
SEPT traitements et je me réveille...
"Sept"-épatant.
"Six"-tème métrique.
"Cinq"-cinnati.
"Quatre"-ine de Russie.
Les "Trois"-Rivières.
"Deux" testaments...
l'Ancien et le Nouveau-o-o-o-o-o-o !
"Il n'y a qu'un seul Dieu qui règne dans les cieux !" *
Mais Il fout quoi, Dieu ?!! Il dort.
Tout le monde dort.
Moi je vais aller me coucher...
Un monde entier de somnambules.

*(Pour connaître l'air de cette chanson populaire, faut appeler ma grand-mère !)